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Lutte contre la fraude fiscale grave : concertation obligatoire entre l’administration fiscale et le parquet

Il n’aura échappé à personne que la lutte contre la fraude fiscale grave, organisée ou non, s’intensifie ces dernières années. A ce propos, le législateur a récemment adapté le principe « una via » instauré en 2012 et sérieusement ébranlé par l’arrêt n° 61/2014 du 3 avril 2014 de la Cour constitutionnelle. Ces adaptations entreront en vigueur au plus tard le 1er janvier 2020.

Le principe « una via » trouve sa source dans la volonté du législateur de confier la poursuite des infractions fiscales à une seule instance. Sous réserve de ce qui sera énoncé ci-dessous, cette instance sera, en application du principe de subsidiarité, l’administration fiscale compétente. En d’autres termes, la recherche, en ce compris la constatation, de la fraude fiscale, la dette fiscale ainsi que son recouvrement, restent du ressort des administrations fiscales avec tous les moyens légaux dont elles disposent.

Les travaux préparatoires de la loi du 5 mai 2019 précisent néanmoins que « si ces moyens légaux devaient ne pas suffire pour s’attaquer à la fraude fiscale et la sanctionner, les moyens d’enquête du pouvoir judiciaire devraient pouvoir être déployés dans les limites prescrites par la loi ».

Partant, l’article 29 du Code d’instruction criminelle (ci-après « CIC ») a été adapté afin de mettre en place, pour les faits dont l’examen fait apparaitre des indices sérieux de fraude fiscale grave, organisée ou non, d’une part, une dénonciation obligatoire et, d’autre part, une concertation obligatoire. La concertation doit intervenir dans le mois de la dénonciation des faits. Ensuite, le parquet dispose d’un délai de trois mois à compter de la dénonciation pour informer l’administration fiscale, par écrit, de sa décision d’engager ou non les poursuites pénales. Le législateur laisse au Roi le soin d’instaurer des critères pour distinguer les faits graves des autres. Les travaux préparatoires citent notamment le caractère organisé et sérieux des faits, leur connexité avec des infractions de droit commun, …

A noter que pour les autres faits punissables aux termes des lois fiscales et des arrêtés pris en leur exécution, la dénonciation reste conditionnée à l’autorisation du Conseiller général.

En outre, l’article 29 CIC instaure également une concertation générale et régulière (2x par an) entre le procureur général, les autorités fiscales et la police fédérale afin d’identifier les mécanismes de fraude fiscale, grave ou organisée, qui nécessitent une attention particulière.

Afin de respecter le principe non bis in idem, le législateur a décidé de mettre en place, au niveau de la procédure judiciaire, un « tout cohérent d’un point de vue temporel et matériel ». Le législateur fait référence à la récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour a considéré que le principe non bis in idem n’était pas violé si les procédures pénales et fiscales étaient liées par un lien matériel et temporel suffisamment étroit. Partant, le législateur instaure deux principes : l’intégration et l’imputation.

En vertu de l’intégration, le juge pénal prend connaissance, outre de l’action publique, de l’action civile en vue du paiement de l’impôt, additionnels, accroissements, amendes administratives et fiscales et accessoires y afférents. Il s’agit d’une action autonome distincte de l’action publique et fondée sur la législation fiscale. En d’autres termes, par dérogation au régime habituel, le juge pénal statuera sur la dette d’impôt. Dès que l’action civile est pendante devant le juge pénal, les procédures devant les tribunaux civils, qui concernent la même action, prennent fin et sont poursuivies devant le juge pénal.

Compte tenu de l’intégration, le juge pénal doit désormais tenir compte, pour la fixation de la peine, des amendes administratives et accroissements d’impôt dus afin d’éviter que le condamné soit soumis à une peine déraisonnablement lourde. Il s’agit du principe d’imputation.

Le nouvel article 29bis du CIC prévoit l’obligation pour le parquet d’informer l’administration fiscale de l’existence de faits laissant apparaitre des indices de fraudes en matière d’impôts. L’administration fiscale pourra avoir accès au dossier sauf si l’accès au dossier et la prise de copie risquent de compromettre des enquêtes pénales en cours.

Enfin, le juge pénal ne pourra plus prononcer la confiscation des avantages patrimoniaux tirés directement des infractions fiscales lorsqu’il fait droit à l’action du fisc en vue du paiement de l’impôt éludé et que cette créance est effectivement et intégralement payée par le contribuable.