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COVID et contrôles fiscaux : une dérive inquiétante …

Les articles 315 et 315 bis du Code des impôts sur les revenus (C.I.R.) permettent à l’administration fiscale de prendre connaissance, sans déplacement, de tous les documents nécessaires à l’établissement et au contrôle des revenus du contribuable.

Cette procédure implique dès lors que le contrôleur fiscal se déplace chez le contribuable (aucune disposition légale ne lui impose de prendre rendez-vous, même s’il s’agit de la pratique usuelle), et examine, en sa compagnie ou celle de son comptable, les documents « papiers » ou informatisés et pose les questions nécessaires à une bonne compréhension et interprétation des éléments examinés.

Il peut alors en prendre copie et les emporter si nécessaire, moyennant l’établissement d’un procès-verbal qui doit être rédigé et adressé au contribuable dans les 5 jours ouvrables de la rétention des documents.

Une circulaire administrative permet du reste au contribuable de solliciter l’établissement d’un inventaire des pièces et documents emportés, ce que le fonctionnaire doit accepter. Il est prudent de procéder de la sorte pour éviter tout problème de preuve quant à l’existence des documents emportés.

Depuis le début de la pandémie, le télétravail est devenu la norme et l’administration fiscale n’échappe pas à la règle. Selon nos informations, à l’heure de rédiger ces lignes, les contrôleurs fiscaux doivent travailler à domicile au moins jusqu’au 31 mars 2021 (cette date sera vraisemblablement prolongée vu l’évolution de la situation sanitaire) et ne peuvent, sauf pour les contrôles essentiels, ni se rendre chez les contribuables ou leurs mandataires, ni les recevoir en leurs bureaux.

Néanmoins, leurs plannings et objectifs de contrôles ont été maintenus.

 

Des E-contrôles illégaux ?

Cette situation parfaitement contradictoire a abouti à une pratique très contestable et qui tend à malheureusement à se généraliser : l’administration fiscale adresse au contribuable ou à son mandataire un courrier (parfois dénommé E-contrôle) lui demandant la communication, par voie informatique, de l’ensemble des documents comptables, des back-ups et du logiciel permettant de les analyser. Ce qui s’apparente non pas à une demande de renseignements, qui est légalement possible, mais à un véritable contrôle à distance, illégal car contraire aux dispositions très claires du C.I.R.

Plus grave encore, cette demande s’accompagne parfois de menaces à peines voilées de sanctions en cas d’absence de communication dans les délais requis.

Certes, le contribuable a toujours la possibilité de collaborer de d’adresser, sur une base volontaire, les documents sollicités par l’administration fiscale.

 

Difficile de contester a posteriori

Il faut toutefois savoir que s’il procède de la sorte, le contribuable se prive de facto de toute possibilité ultérieure de contestation de l’utilisation et de l’exploitation des données ainsi recueillies par l’administration fiscale.

Plus précisément, il pourra toujours contester la validité des conclusions tirées par le fisc, mais pas le fait que ces documents seraient arrivés dans les mains de l’administration de manière irrégulière. En effet, une jurisprudence bien établie, dite « Antigone », considère qu’il doit, sauf cas très exceptionnels, être tenu compte des pièces obtenues par l’administration, même par des voies illégales.

Il faut aussi savoir que l’administration fiscale dispose de logiciels lui permettant d’analyser en profondeur les documents ainsi communiqués et que déférer à de telles demandes, c’est aussi lui laisser le temps et la latitude nécessaire pour ce faire.

 

Gare au secret professionnel !

Enfin, il n’est pas rare que ce telles demandes soient adressées non pas au contribuable lui-même, mais directement au professionnel en charge de la tenue de sa comptabilité. Le fait pour ce dernier de répondre directement à la demande de l’administration fiscale sans autorisation ou instruction expresse de son client pose clairement un problème de violation du secret professionnel dans son chef.

Dès lors, comment réagir ? Tout est une question de cas d’espèce. La voie de la collaboration n’est pas à écarter de manière systématique, mais il convient d’être parfaitement au courant de ses conséquences.

Néanmoins, à l’heure où les évolutions législatives récentes ne peuvent qu’amener à la conclusion que l’on assiste à une lente dérive des droits du contribuable et à une extension des pouvoirs d’investigation et de contrôle de l’administration, il paraît opportun de rappeler courtoisement mais fermement aux contrôleurs fiscaux que les articles 315 et suivants du C.I.R. organisent une procédure mettant en équilibre le droit de l’administration fiscale d’avoir accès aux documents nécessaires à l’accomplissement de son travail et les droits du contribuable de s’expliquer, d’argumenter et de se défendre, que ces dispositions s’imposent à l’administration fiscale, et qu’elles n’ont à ce jour pas été modifiées pour cause de pandémie.

 

Thierry Litannie

Avocat fiscaliste

Administrateur de l’OECCBB